La prise de décision, une affaire complexe et profondément humaine
La décision caractérise le vivant et, de fait, toute activité humaine.
L’Homme se caractérise par son discernement et sa capacité à décider. Pour cela, il modélise consciemment ou non, la réalité dans laquelle il vit. Pour assurer sa pérennité, celle de son groupe d’appartenance, de son entreprise par exemple, il doit faire des choix.
A tout instant, l’élaboration progressive du résultat se fait sur des choix des arbitrages alors même que les informations ne sont pas disponibles.
Augmenter sa réelle capacité d’innovation, sa réactivité et sa flexibilité en situation de décision devient critique pour l’organisation et ses équipes.
Toute bonne prise de décision s’appuie sur la capacité du groupe à entrevoir, imaginer, sentir et élaborer les orientations possibles à donner au futur qui est en train d’émerger.Réel pouvoir sur l’avenir, la qualité d’une décision dépend de la capacité à traiter l’information disponible, de la compréhension des enjeux des différents acteurs impliqués dans la décision et de son propre rapport au pouvoir de décider.
La décision, c’est surtout une affaire de bon temps …
Dans un monde qui change plus vite que notre aptitude à prévoir, nous devons faire appel de plus en plus souvent à notre intuition. Orienter positivement le présent dans le sens d’un meilleur avenir fait appel à l’anticipation, l’art de piloter à partir du futur émergent.
Avec quelle intention ?
Plusieurs façons d’orienter le futur avec des résultats très différents :
- La reproduction : la décision se prend à partir des expériences du passé. Le décideur sélectionne dans sa perception de la réalité présente les éléments qui ressemblent à une expérience vécue. Il recherche les solutions qui ont été pertinentes dans le passé ou dans ses apprentissages et les transpose dans le présent pour influer sur le futur. Avantages : la décision est rapide, rassurante (il sait que ça marche), confortable (il sait comment faire). Limites : Il occulte les éléments de la réalité qui divergent de son expérience. Les mêmes actions produisant les mêmes résultats, aucune innovation n’est possible.
- La prévision : la personne en situation de décision construit le futur à partir du présent. En fonction de l’information disponible, factuelle, elle décide des orientations à donner. Mode de fonctionnement conservateur, il a l’avantage de tenir compte des acquis. La limite de ce mode de prise de décision s’exprime dans l’absence de remise en cause. La construction de l’avenir se fait sur les bases de l’existant sans vérifier si elles sont adaptées ou non aux défis futurs.
- L’anticipation ou la décision à partir du futur émergent : la prise de décision nécessite un élargissement du champ de perception. Elle ne peut donc se prendre seul(e), les regards croisés de l’ensemble des personnes étant impliquées étant autant de ressources pour accroître ce champ et s’approcher d’une vision la plus juste possible de ce qui est et de ce qui émerge. Décider à partir du futur émergent passe par l’ouverture de l’esprit et du cœur. à ce que les membres du groupe sentent naître, à ce que chacun et tous imaginons advenir. Pour arbitrer parmi les différents scenarii futurs possibles, le groupe doit se connecter à son intention profonde. Décider, oui, mais pour se retrouver dans quel futur ? Quel avenir meilleur voulons-nous collectivement voir se réaliser ?
- Les clés de l’anticipation :
- Observer, observer, observer ce qui est
- Co-sentir ce qui émerge
- Se retrouver autour d’une intention commune
- Prendre la décision au consentement
- Agir dans l’instant
« Le propre des créations de l’activité est qu’elles ne sortent ni de la seule imagination, ni du seul réel, mais d’un réel imaginé que l’homme d’action se sent capable de substituer au réel existant. » Bernard GRASSET
Comment prendre une décision au consentement ?
Aucun des modèles habituels de prise de décision (directif, majoritaire, consensus …) ne permet de refléter pleinement le processus d’intelligence collective. Emprunté à l’approche de la Sociocratie, la décision prise au consentement est un outil puissant de “sculpture” d’une décision collective. Elle est particulièrement appropriée pour décider de projets à initier, d’actions collectives à réaliser, pour définir des règles communes et dans tous les cas où l’engagement de chacun au service du succès collectif est un atout décisif.
Principes et objectifs
Après les partages de point de vue, l’écoute profonde, les différentes représentations de ce qui veut émerger, nous pourrions supposer que, tout ayant été exprimé, la prise de décision sera un processus simple. L’expérience montre que l’on peut encore à ce stade aller dans la profondeur et découvrir des faces cachées “blind spot” du sujet traité. Consciemment ou inconsciemment, certains aspects du sujet n’ont pas été révélés (Je n’ai pas osé dire … J’ai oublié de dire …, je ne suis pas encore allé explorer ce niveau de détail …j’ai dit mais le groupe n’a pas intégré… etc). La prise de décision constitue une étape essentielle, charnière dans le processus de création puisqu’elle permet à l’idée de passer dans la matière, de se concrétiser par le prototypage puis le déploiement.
L’objectif de la prise de décision au consentement est de s’assurer que le groupe prend ici et maintenant la meilleure décision qu’il puisse prendre compte tenu de son état de connaissance du moment. Le but est donc de rechercher, d’écouter toutes les objections qui peuvent se présenter et de s’assurer que la décision prise les lève toutes. De la sorte, les acteurs en charge de la réalisation seront assurés (et rassurés) que tout ce qui était imaginable a été considéré.
Du point de vue du groupe, cette étape est également essentielle pour les constructions à venir et pour le niveau de confiance mutuelle : c’est le temps de l’engagement. Dans la prise de décision au consentement chaque participant doit, dans son for intérieur, évaluer chaque décision proposée et décider s’il est prêt à la porter et à la mettre en œuvre ou non. La personne qui voit une objection suffisamment puissante pour ne pas l’accepter prend la responsabilité de suspendre le processus de décision jusqu’à ce que le groupe ait considéré ses arguments et propose une nouvelle décision qui en tienne compte.
Du point de vue de la qualité de la décision, ce processus cherche la réponse la plus juste possible c’est-à-dire la solution qui reflète l’intention et est réalisable par tous. Il n’est donc pas question de rechercher une hypothétique solution parfaite mais favoriser une mise en œuvre rapide, sans heurts.
Déroulement
Un groupe – Un facilitateur garant du processus.
Le facilitateur explique le processus et défini ce qu’est “avoir ou ne pas avoir d’objection”.
- Une personne du groupe fait une proposition de décision notée sur un paper board (ou tout autre support visible par le groupe). Le groupe pose des questions de clarification si nécessaire.
- Le facilitateur demande à une personne d’argumenter son objection. Questions de clarification du groupe si nécessaire.
- Nouvelle proposition intégrant la réponse au problème soulevé, noté sur le paper board.
- Nouveau tour d’objection. Refaire 3 et 4 jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’objection.
- Adopter la proposition retenue et célébrer.Le facilitateur pose à chaque participant la réponse fermée suivante : “As-tu une objection ? – à ce que nous adoptions la proposition X.
Retour d’expérience
Faites confiance au processus et invitez le groupe à faire de même. Il y a toujours quelque chose d’important qui s’invite et n’avait pas été exploré avant.
Au début du processus, quand le groupe découvre la méthode, il y a souvent beaucoup d’objections. Chacun cherche le meilleur, Plus le temps passe, plus se développe la conscience qu’une objection bloque le processus de décision et donc augmente encore le temps qui lui est consacré. Les participants réexaminent naturellement leur niveau d’exigence au profit d’une solution rapide à mettre en œuvre sans sacrifier l’essentiel.
La dernière décision est généralement accueillie dans le soulagement et la joie. Souriez, célébrez … C’est une vraie création collective, reproductible à chaque fois que ce collectif en aura besoin.
Faites un debrief de l’expérience vécue ensemble et de ce que cet apprentissage ouvre comme perspectives d’avenir.
Témoignage
Dans cette entreprise du secteur automobile, nous avons initié le comité de direction à cette façon de décider. Souhaitant passer d’un management « top-down » à un management « bottom-up », le groupe s’est réuni au cours d’un séminaire pour décider ensemble des projets à initier et des actions à mener au niveau de la gouvernance pour réaliser cette transformation.
Voici ce qu’il en est ressorti :
- L’étonnement devant le grand nombre de décisions prises au cours d’une même journée (bien plus qu’en de nombreuses réunions préalables).
- Chacun repars avec un sentiment d’appartenance renforcé : ma voix a été écoutée, entendue, prise en compte. Chacun se sent co-auteur des décisions prises et prêt à les assumer pleinement pour leur mise en œuvre.
- L’étonnement quant à la teneur des décisions : “nous n’aurions jamais pensé pouvoir aller aussi loin” – permis par l’enrichissement mutuel.
- La joie de faire partie d’un collectif vivant, de retrouver une liberté de mouvement et d’expression qui était figée par les rapports de force.
- La conclusion du directeur général pourtant peu favorable au départ à l’objectif même du séminaire “nous avons pris un nombre incroyable de décisions, et le pire, c’est que je ne sais même pas comment nous avons fait …”
- La simplicité de la démarche est évidente, son secret : la qualité de présence à chaque instant.
Les prochaines étapes pour cette entreprise : mettre en œuvre les décisions, expérimenter ce mode de fonctionnement dans les équipes, travailler à la mise en place de cercles aux missions claires, en lien les uns avec les autres.
Nous vous souhaitons des décisions joyeuses, justes et portées par tous.
Parce qu’on apprend mieux à plusieurs que tout seul, faites-nous part de vos expériences.